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L'UNIVERS FÉERIQUE ET FANTASTIQUE

ROMÉO ET JULIETTE par WILLIAM SHAKESPEARE & Traduction de VICTOR HUGO

ACTE II

SCENE V

 

Le jardin de Capulet. Entre Juliette.

 

JULIETTE. - L'horloge frappait neuf heures, quand j'ai envoyé la nourrice ; elle m'avait promis d'être de retour en une demi-heure... Peut-être n'a-t-elle pas pu le trouver!...

Mais non... Oh ! elle est boiteuse ! Les messagers d'amour devraient être des pensées, plus promptes dix fois que les rayons du soleil, qui dissipent l'ombre au-dessus des collines nébuleuses. Aussi l'amour est-il traîné par d'agiles colombes ; aussi Cupidon a-t-il des ailes rapides comme le vent. Maintenant le soleil a atteint le sommet suprême de sa course d'aujourd'hui; de neuf heures à midi il y a trois longues heures, et elle n'est pas encore venue ! Si elle avait les affections et le sang brûlant de la jeunesse, elle aurait le leste mouvement d'une balle ; d'un mot je la lancerais à mon bien-aimé qui me la renverrait d'un mot. Mais ces vieilles gens, on les rendrait souvent pour des morts, à voir leur inertie, leur lenteur leur lourdeur et leur pâleur de plomb.

Entrent la nourrice et Pierre.

JULIETTE. - Mon Dieu, la voici enfin... ô nourrice de miel, quoi de nouveau ? L'as-tu trouvé ?... Renvoie cet homme.

LA NOURRICE. - Pierre, restez à la porte. (Pierre sort.)

JULIETTE. - Eh bien, bonne, douce nourrice ?... Seigneur !

Pourquoi as-tu cette mine abattue? Quand tes nouvelles seraient tristes, annonce-les-moi gaiement. Si tes nouvelles sont bonnes, tu fais tort à leur douce musique en me la jouant avec cet air aigre.

LA NOURRICE. - Je suis épuisée ; laisse-moi respirer un peu.

Ah ! que mes os me font mal ! Quelle course j'ai faite !

JULIETTE. - Je Voudrais que tu eusses mes os, pourvu que j'eusse des nouvelles... Allons, je t'en prie, parle; bonne, bonne nourrice, parle.

LA NOURRICE. - Jésus! quelle hâte! Pouvez-vous pas attendre un peu ? Voyez-vous pas que je suis hors d'haleine ?

JULIETTE. - Comment peux-tu être hors d'haleine quand il te reste assez d'haleine pour me dire que tu es hors d'haleine ? L'excuse que tu donnes à tant de délais est plus longue à dire que le récit que tu t'excuses de différer tes nouvelles sont-elles bonnes ou mauvaises? Réponds à cela; réponds d'un mot, et j'attendrai les détails. Édifie-moi : sont elles bonnes ou mauvaises ?

LA NOURRICE. - Ma foi, vous avez fait là un pauvre choix : vous ne vous entendez pas à choisir un homme : Roméo, un homme ? non. Bien que son visage soit le plus beau visage qui soit, il a la jambe mieux faite que tout autre ; et pour la main, pour le pied, pour la taille, bien qu'il n'y ait pas grand chose à en dire, tout cela est incomparable... Il n'est pas la fleur de la courtoisie, pourtant je le garantis aussi doux qu'un agneau... Va ton chemin, fillette, sers Dieu... Ah ça ! avez-vous dîné ici ?

JULIETTE. - Non, non... Mais je savais déjà tout cela. Que dit-il de notre mariage ? Qu'est-ce qu'il en dit ?

LA NOURRICE. - Seigneur que la tête me fait mal ! quelle tête j'ai ! Elle bat comme si elle allait tomber en vingt morceaux...

Et puis, d'un autre côté, mon dos... Oh ! mon dos ! mon dos !

Méchant coeur que vous êtes de m'envoyer ainsi pour attraper ma mort à galoper de tous côtés !

JULIETTE. - En vérité, je suis fâchée que tu ne sois pas bien :

chère, chère, chère nourrice, dis-moi, que dit mon bien aimé ?

LA NOURRICE. - Votre bien-aimé parle en gentilhomme loyal, et courtois, et affable, et.gracieux, et, j'ose le dire, vertueux... Où est votre mère ?

JULIETTE. - Où est ma mère ? Eh bien, elle est à la maison :

où veux-tu qu'elle soit? Que tu réponds singulièrement !

Votre bien-aimé parle en gentilhomme loyal, où est votre mère ?

LA NOURRICE. - Oh ! Notre-Dame du bon Dieu ! êtes-vous à ce point brûlante? Pardine, échauffez-vous encore : est-ce là votre cataplasme pour mes pauvres os ? Dorénavant, faites vos messages vous-même !

JULIETTE. - Que d'embarras !... Voyons, que dit Roméo ?

LA NOURRICE. - Avez-vous permission d'aller à confesse aujourd'hui ?

JULIETTE. - OUI.

LA NOURRICE. - Eh bien, courez de ce pas à la cellule de frère Laurence : un mari vous y attend pour faire de vous sa femme. Ah bien ! voilà ce fripon de sang qui vous vient aux joues : bientôt elles deviendront écarlates à la moindre nouvelle. Courez à l'église ; moi, je vais d'un autre côté, chercher l'échelle par laquelle votre bien-aimé doit grimper jusqu'au nid de l'oiseau, dès qu'il fera nuit noire. C'est moi qui suis la bête de somme, et je m'épuise pour votre plaisir ; mais, pas plus tard que ce soir, ce sera vous qui porterez le fardeau.

Allons je vais dîner ; courez vite à la cellule.

JULIETTE. - frite au bonheur suprême !... Honnête nourrice, adieu. (Elles sortent par des côtés différents.)

 

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